Djaidri Sabrina

sabrina.djaidri@univ-tours.fr

La hijra française : Enquête sur une émigration silencieuse

Doctorante

Résumé :

La France longtemps perçue comme terre d’accueil a connu au cours de son histoire, des épisodes d’émigrations religieuses qui, bien qu’ayant des origines distinctes, restent peu documentées au sein des sciences humaines. Ce projet se propose d’étudier une émigration particulière : la hijra, opérée par certains Français de « culture musulmane » (Gélard, 2017)[1].Cette étude porte sur des considérations scientifiques plurielles au croisement des questionnements migratoires, religieux et transnationaux plus particulièrement, transméditerranéens. Décrite comme migration d’exil, la hijra est teintée de l’idée d’une contrainte dans les pratiques spirituelles du groupe social étudié. Ces émigrés qualifiés de mouhajirounes (Adraoui, 2017)[2] aux profils variés, comptent des expériences migratoires qui sont autant de matériaux à privilégier quant à l’analyse des représentations et des sens donnés aux pratiques observées impliquant à la fois, la circulation d’individus, de capitaux, de ressources mais aussi d’idées. Le but est d’interroger du point de vue sociologique, une émigration spécifique afin d’en saisir les logiques sociales et d’en distinguer les dispositions individuelles et collectives. Que nous indique cette émigration française ? S’agit-il d’une émigration religieuse classique ? Qui sont ces « nouveaux migrants » ? Comment motivent-ils leur mobilité et comment s’assurent-ils sa pérennité ?

Au cœur de cette réflexion, émerge les questions « identitaires, morales et économiques » (Gonzalez, 2014)[3] notamment au regard du rapport à la nation, à l’identité, aux liens entretenus entre une partie des citoyens Français et leur pays de naissance. Par définition, les pratiques migratoires sont intrinsèquement transnationales[4]. Là, les temps et les espaces sont autant d’éléments de transitions où les temporalités et lieux de passage placent les mouhajirounes entre deux mondes « l’ancien et le nouveau » (Balloud, 2016)[5]. Ces migrants vont alors opérer des choix et établir des stratégies propices à leur mise en déplacement et à leur immobilisme en terre d’accueil. Ainsi, la hijra fait appel à l’étude des conditions matérielles des migrations dont il est nécessaire de souligner la particularité inhérente au statut « religieux » de ses acteurs.

Cette étude se propose donc de saisir la complexité de cette migration en trois axes. D’abord, cette thèse se penchera sur les moteurs de cette émigration et sur ses représentations à contextualiser à différentes échelles : politiques, économiques et sociales. Puis, cette thèse portera sur les conditions matérielles et les ressources mobilisées en vue d’organiser la migration. Enfin, l’arrivée en terre d’accueil marque les débuts de l’installation qui sollicite des stratégies d’ancrage spécifiques.

L’étude de la hijra fait appel à une analyse dynamique et multisituée. Ainsi, cette enquête de terrain aura lieu dans différents territoires : la France et l’Algérie où une partie des mouhajirounes français tentent de s’installer. L’enquête ethnographique permettra au cours d’entretiens semi-directifs d’interroger dans un premier temps ces acteurs en migration sur les différentes étapes inhérentes à leur déplacement, puis, sur le sens donné à leur migration. L’approche ethnographique permettra une immersion au cœur d’un groupe social se présentant comme « religieux » dans le but d’écouter et d’observer puis d’analyser, les relations tissées, les discours tenus, les difficultés rencontrées, les réseaux et capitaux mobilisés en vue d’assurer l’émigration et sa pérennisation. Dans un contexte de tensions politiques et sociales, l’émigration religieuse répond à une forme d’injonction au départ imposé par un climat politique que les migrants jugent inhospitalier (Murez, 2022)[6]. Le but est d’identifier l’ensemble des motivations en jeu et les conséquences humaines et matérielles que provoquent le départ de ces émigrés français de confession musulmane.

 

 

 

[1] Gélard, Marie‑Luce. « L’islam en France : pratiques et vécus du quotidien », Ethnologie française, vol. 47, no. 4, 2017, pp. 599-606.

[2] Adraoui, Mohamed-Ali. « La hijra au service d’un projet de rupture intégral dans le salafisme français », Ethnologie française, vol. 47, no. 4, 2017, pp. 649-658.

[3] Gonzalez, Julien. « Trop d’émigrés ? Regards sur ceux qui partent de France », Dominique Reynié éd., Innovation politique 2014. Presses Universitaires de France, 2014, pp. 217-246.

[4] Mossière, Géraldine et Sophie, Bava. « Mobilités et parcours religieux dans l’islam et le christianisme : variations, transformations et transgressions », Migrations Société, vol. 184, no. 2, 2021, pp. 13-24.

[5] Balloud, Simon. « La migration des religieux français vers le Canada (1880-1914) : territoires de l’attente et spiritualité de l’exil ». Nuevo mundo mundos nuevos, 2016, pp. 1‑12.

 

[6] Murez, Jean-Baptiste. « L’expérience de la frontière dans l’asile belge des religieux français (1900-1914) », Revue du Nord, vol. 444, no. 3, 2022, pp. 355-420.

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