ANR (2019) CE38 – La Révolution numérique : rapports au savoir et à la culture

Porté par le Jean-Yves Blaise (Modèles et simulations pour l’Architecture et le Patrimoine)

L’étude de l’artefact patrimonial est interrogée par un renouvellement de notre capacité à produire des masses d’observations, à croiser des jeux de données conséquents. Dans les sciences patrimoniales, où se substitue à une ambition d’explicitation de règles générales celle d’analyse objectivée d’histoires particulières, comment traduire ce plus en gain de sens ?
Si l’introduction de protocoles de capture et d’analyse de données fortement impactés par les technologies numériques constitue à l’évidence une forme de rupture méthodologique, sommes nous en situation de faire de cette rupture une opportunité? Le risque est grand d’aller vers une forme de collectionnite numérique produisant non pas de la compréhension mais de la dispersion, voire du chaos.

La question posée est donc : comment renforcer notre capacité à dégager une compréhension globale de l’objet observé (esprit de synthèse*) face à l’omniprésence d’instrumentations et de formalismes « numériques ». En réponse, Le projet vise à expérimenter et mettre en partage des démarches de caractérisation sémantique d’artefacts (du fragment archéologique à l’édifice), et de formalisation, à fins de reproductibilité, du raisonnement sur ces faits, et notamment les inférences du passage fait archéologique observé > fait architectural restitué.

Le projet SESAMES ne prétend pas apporter une réponse globale, mais tenter d’illustrer par la pratique, par une stratégie d’exemplification, comment mieux maîtriser les risques de dispersion* et de volatilité. Il combine trois priorités:

  1. Mener un effort de caractérisation de faits bâtis multi-échelles, et dans trois dimensions (spatiale, sonore, ontologique).
  2. Renouveler la façon dont nous pouvons faire un travail de mise en relation, de lecture comparative,
  3. Expliciter et mettre en évidence des modalités de raisonnement (expérimentation sur le passage observé > restitué) pour inscrire la production d’extrants dans une logique de reproductibilité.

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Au sein territoire de l’abbaye, le projet se focalise sur l’ancienne hôtellerie. Cet édifice a été à la fois le sujet d’efforts de fouille, d’analyse et de documentation et l’objet de restitutions 3D.
Ce choix doit donc permettre sur un seul et même cas de nourrir différents volets du projet, d’aborder différentes problématiques:

  • Notion de reproductibilité, de traçabilité, au travers d’une exploitation du SI MEMORIA d’une part dans le cadre de la description formelle des activités ayant conduit aux restitutions 3D, attendu initial du projet. Par extension, au-delà de ces attendus initiaux, le travail mené au cours des années par CITERES-LAT sur l’édifice permet de questionner et d’enrichir le SI MEMORIA d’une part en diversifiant ce qu’on nomme extrants dans ce système, et d’autre part au travers d’un effort d’élicitation des processus / activités liés à la fouille archéologique.
  • Formalisation d’inférences / passage observé > restitué. La démarche entreprise pour décrire le processus de production des restitutions 3D (SI MEMORIA) permet de retracer et de mettre en comparaison les chaines opératoires mobilisées, mais n’a pas vocation à « justifier » les inférences faites sur tel ou tel élément de corpus de telle ou telle restitution. A ce niveau de grain, on n’est plus dans une combinatoire d’activités hétérogènes se succédant / se complétant mais dans la nécessité à l’intérieur d’une même activité dite « d’inférences » de documenter chaque choix fait quant aux objets restitués. Le travail conduit par le LAT sur ce sujet plus largement (approche logiciste, matrice de fiabilité) trouve dans cet édifice un terrain d’application d’autant plus porteur que le LAT a été au cœur de l’ensemble des activités d’analyse de l’édifice. Entre autres pistes ouvertes il faut citer également la notion de spatialisation de chaines de raisonnement – le cas choisi permet de rechercher un cadre technique et méthodologique possible pour une ré-exploitation des restitutions 3D.
  • Dimension spatiale, annotation 3D. Ce volet doit d’abord servir à mener une analyse réflexive exemplifiée sur le rapport plus-value / coût et contraintes de l’effort de spatialisation 3D des couches d’informations existantes attachées au corpus de l’hôtellerie. Au-delà, ce volet doit permettre également de mener une expérimentation concrète d’annotations à deux voix, pluridisciplinaire et multi-échelle, en croisant logique d’annotation de l’observé (modèle archéologique) et logique d’annotation par le prescriptif (modèle architectural « théorique »). Dans ce sens l’édifice va donc également être l’objet d’étude à partir duquel mettre en pratique le volet « ontologie du corpus architectural patrimonial » sur deux points importants : aide à l’identification (« clés d’identification »), détection et typage « d’erreurs » (objets déformés, distance prescriptif < > observé)

Voir en ligne : Site du projet